Me revoilà après quatre mois d’absence, et je dois bien me rendre à l’évidence : les crises de boulimie étaient ma principale motivation à venir écrire ici. Je n’ai pas fait la moindre crise depuis exactement 126 jours – en bonne boulimique, je continue à les compter – et ce n’est que maintenant que je constate que mon dernier article remonte à 122 jours. Coïncidence? Pas sûre.
Si vous lisez ce blogue, c’est sans doute que vous connaissez ce sentiment de détresse immense qui nous habite après une crise. Pour moi, l’écriture est chaque fois une forme de soulagement. Mes articles me donnent l’impression de faire des petits pas en avant, pour compenser les crises qui semblent toujours être des pas en arrière. Quand j’écris un texte porteur d’espoir, c’est surtout pour m’empêcher de désespérer, moi.
Je pense que c’est plus qu’une impression, et que l’écriture m’a vraiment permis de faire des pas en avant. Les crises ne me manquent pas du tout, mais la lucidité qu’elles me permettaient de trouver via mon blogue me manque. J’essaie aujourd’hui de retrouver cette lucidité, car sinon je me laisse leurrer par le beau mirage de l’anorexie. J’ai besoin de faire des efforts conscients, chaque jour, pour être plus Caroline et moins Ursula. C’est qu’être Ursula est devenu tellement confortable sans les crises…
J’ai envie de partager un truc qui m’a beaucoup aidée à m’éloigner du cycle crise-restriction (vite je touche du bois, car j’espère que cet éloignement est là pour durer). Vous savez comme moi que quand l’envie de faire une crise se fait sentir, c’est presque impossible d’y résister. À ma connaissance, il existe un seul moyen de faire passer l’envie, et c’est d’y céder. La faim qu’on ressent dans ces moments-là est tellement profonde, qu’il faut une bonne overdose de sucre et le mal de cœur qui s’ensuit pour la faire disparaître. Et encore, ce n’est qu’un soulagement temporaire. Car tout le dilemme est là : la solution à court terme (faire une crise) devient la cause de problème à long terme. La crise provoque la culpabilité, qui provoque la restriction, qui provoque une nouvelle envie de crise. Que faire quand on sait que le seul moyen de faire taire son envie est d’y céder, mais qu’on sait aussi qu’en y cédant on prépare le terrain pour la prochaine crise?
La réponse, c’est qu’il faut faire confiance au temps. Il m’a fallu comprendre que mes envies de faire des crises sont d’abord une conséquence physiologique d’un état prolongé de faim, et non un manque de contrôle sur moi. J’ai bien essayé par tous les moyens de me contrôler, mais faute d’y arriver, j’ai choisi de croire que les choses allaient rentrer dans l’ordre par elles-mêmes si je persistais à manger chaque jour mes trois repas complets.
Une obsession comme ça, c’est bien accroché. La boulimie ne disparaît pas du jour au lendemain quand on reprend une alimentation équilibrée, et c’est un sevrage difficile. C’est une envie qui vous bombarde les pensées à chaque minute pendant des heures entières. C’est se lever le matin sans oser ouvrir le frigo, se rendre au travail les yeux fixés au sol pour éviter de voir les restaurants qui sont partout, vivre le cauchemar parce qu’un inconnu grignote un sac de chips dans le métro, et se coucher chaque soir avec la peur que cet ouragan, auquel on a résisté une journée de plus, nous emporte le lendemain.
Je ne fais plus confiance à cette voix qui me dit « Ce sera la dernière crise! Après ça, tu auras une volonté de fer et tu perdras tout le poids repris… » J’ai compris que ce concept de la dernière crise est une belle illusion, et que chaque crise va en causer une prochaine. Et je ne veux plus de prochaine crise. Alors chaque fois que l’envie se manifeste (à tous les jours au début, mais ça s’estompe, promis), j’ai deux pensées positives qui m’aident à supporter la pénible sensation de manque.
La première : « C’est normal que tu te sentes comme ça, Caroline. Pour l’instant, c’est normal, et c’est correct. »
La deuxième : « Il n’y a rien que tu puisses faire maintenant pour éviter de te sentir ainsi, mais ça va finir par passer. Il faudra du temps, mais un jour tout cela aura disparu. »
L’essentiel, c’est surtout de se souvenir que les envies de faire des crises ne sont que des pensées – des pensées normales, et qui finissent par disparaitre – mais surtout inoffensives en autant qu’elles restent des pensées. Et pour chaque pensée associée au trouble alimentaire, il existe une pensée contraire qui vient de notre voix saine. Il faut juste apprendre à faire confiance à la bonne voix.
Et il faut manger.