Auto-câlin

Et si pour changer, il suffisait que je cesse justement de vouloir changer? Et si la guérison n’impliquait pas de lutter contre le trouble alimentaire, mais plutôt de cesser de lutter, point? Cesser de lutter et commencer à m’accepter, à accepter la vie, avec les joies et les peines qu’elle apporte. Cesser de lutter dès cet instant, parce que je possède déjà à l’intérieur de moi tout ce qu’il me faut pour vivre pleinement.

J’ai envie de faire une boulimie? Je ne cherche pas à penser à autre chose. Vous connaissez l’histoire de l’éléphant rose… On ne pense qu’à ça quand on se donne le défi de ne pas y penser. Alors je laisse les envies de bouffe aller et venir. Je ne me blâme surtout pas, parce que j’ai déjà suffisamment de soucis sans ceux que l’autocritique viendrait ajouter. Je ne pars plus en guerre contre moi-même. Ce n’est pas du régiment d’artillerie dont j’ai besoin, c’est juste d’un câlin. Et s’il n’y a personne pour me donner un câlin, je peux m’en donner un à moi-même.

En acceptant les envies de crises comme des pensées qui sont là, qui font partie de mon quotidien, et non comme un fléau que je dois écraser par tous les moyens, elles ont cessé de me faire peur. Elles ont perdu leur emprise sur ma vie. Et surtout, je me sens comme une personne entière et non comme une moitié qui se bat contre une autre moitié.

Je ne lutte plus. J’accepte, et je me traite avec amour et compassion quand ce sont des émotions difficiles que j’ai à accepter. Un auto-câlin, ça se prend toujours bien.

Petite Caro

Il y a une petite fille qui vit à l’intérieur de moi. Je l’appelle Petite Caro. C’est elle qui s’accroche désespérément à Ursula, parce qu’elle a peur. Elle a peur de ne pas être aimée des autres, mais surtout elle a peur de ne pas être aimée de la personne qui importe le plus : moi, Caro Adulte.

J’ai donc compris ce qu’elle cherche depuis toujours, cette Petite Caro. L’amour des autres ne suffit pas à remplacer l’amour qu’on peut ressentir de l’intérieur. Je le sais depuis longtemps, mais je sais aussi que l’anorexie me mène à ma perte et je continue malgré tout à compter mes calories… Parce savoir, ce n’est qu’un début. Il faut ressentir pour vraiment changer. Ce vide béant à l’intérieur de moi, je le ressens aujourd’hui. Et je ressens ce qui le cause : l’absence d’amour propre.

Ursula promet à Petite Caro qu’en perdant quelques kilos, elle pourra enfin s’aimer. Ursula manipule Petite Caro par la peur, la persuadant qu’une bouchée de chocolat suffira à ce qu’elle se sente affreusement mal dans sa peau. Ursula répète à Petite Caro que l’anorexie est la seule voie possible vers l’amour de soi.

Mais je sais aujourd’hui que j’ai un pouvoir précieux : celui de m’aimer, d’aimer Petite Caro, d’aimer mon corps, de m’aimer, moi, peu importe le reste. J’en suis maintenant convaincue, je peux m’aimer à tous les jours pour le reste de ma vie.

Je le sais, je le ressens, et ça me libère de ma peur.

Sortir du coma

La vie a ses façons de me ramener, chaque fois que je m’égare, vers l’essentiel.

Et je m’égare souvent. Je m’égare dans l’anorexie, dans des idéaux maladifs de perfection, dans des nombres et des mesures vides de sens, dans les détails futiles du quotidien. Je m’égare sans même en être consciente, presque par habitude, et par commodité aussi. Je m’égare parce qu’une fois perdue, je me crois au centre d’un univers qui tourne à ma façon. Je suis en sécurité, en contrôle.

Jusqu’à ce que cet univers fictif s’écroule autour de moi. Une boulimie, une grosse chicane avec mon amoureux… Le retour à la réalité est d’autant plus douloureux que mon coma a été long et paisible.

Mais je finis par sécher mes larmes, m’armer d’un courage venu je ne sais d’où, et lancer un bon coup d’œil à cette fille qui me regarde dans le miroir. C’est moi, ça. Je suis vivante. Pas dans le coma. Et peu importe l’événement pénible qui m’a ramenée à la vie, j’en suis reconnaissante. Parce qu’aujourd’hui je me sens un peu plus forte, un peu plus moi, et bien déterminée à rester réveillée cette fois.

Petit corps, pardonne-moi

Partie au travail ce matin en laissant argent et cartes de crédit à la maison. Mesure extrême pour tenter de mettre fin aux crises qui s’enchaînent depuis quatre jours. Je suis à bout.

J’aimerais avoir toutes les réponses et savoir exactement quoi faire pour guérir, une bonne fois pour toute. J’aimerais ce matin déjà avoir le recul nécessaire pour pouvoir tout analyser de ma boulimie d’hier soir. J’aimerais avoir un plan d’action qui me garantirait une guérison parfaite.

Mais la réalité ne s’accorde pas très bien à mes délusions de perfectionniste. Alors ce matin, je vais être un peu plus gentille envers moi-même, et je vais troquer l’objectif d’être parfaite pour celui d’être patiente.

Tiens, au lieu d’essayer de comprendre et d’expliquer, je vais simplement me concentrer sur l’instant présent. Je me sens calme à l’intérieur, et ça me fait un bien fou. Je pourrais déjà commencer à redouter le moment où ce calme disparaîtra, celui où l’envie de faire une crise refera surface, mais je vais m’efforcer de rester dans l’ici et maintenant, et de simplement en profiter.

Et puis il y a mon corps, mon pauvre corps, auquel j’ai juste envie de faire un gros câlin. Ça fait tout drôle comme sensation, de vouloir faire un câlin à son corps, et ça fait du bien aussi…

Je t’ai si injustement traité, petit corps, je le vois maintenant. Je devais prendre soin de toi et je ne l’ai pas fait. Depuis dix ans, tu souffres de la faim, et pire encore tu souffres d’avoir été mal aimé. Tu étais prêt à tout pour moi et je ne t’ai donné que du mépris. Tu étais vulnérable et j’ai ignoré tes appels à l’aide. Tu n’avais que moi, et je t’ai abandonné. J’ai cru que ma clémence des six derniers mois suffirait à réparer tes blessures. Je me suis trompée. Tes blessures sont trop profondes, elles sont trop vieilles, elles font trop mal. Tu as souffert, petit corps. Aujourd’hui je le vois, et je veux te dire que je suis désolée. Je comprends maintenant comment les boulimies sont devenues ton seul moyen de te faire entendre, parce que je refusais de te donner l’attention dont tu avais si cruellement besoin. Oh, pauvre petit corps, je comprends et je ne t’en veux pas. Si tu savais comme j’ai envie de te serrer fort dans mes bras! J’aimerais pouvoir te dire que tout ça est fini, que tu n’as plus besoin des boulimies, et que je suis prête maintenant à te donner toute mon attention. Mais tu ne me fais plus confiance, et avec raison. Je vais donc simplement te dire ceci : je t’aime, et je suis désolée pour le mal que je t’ai fait. Donne-moi du temps, et je te prouverai que je peux prendre soin de toi et que tu peux me faire confiance de nouveau. N’aie plus peur, je suis là maintenant.

Rechute… et la vie qui continue

J’ai fini par faire une crise. Comme ça, tout bêtement, après plus de 6 mois sans en faire.

Oh, comme j’ai eu envie de replonger la tête première dans la boulimie! Fuir mon existence, ne plus être là, et barricader ma pauvre âme derrière des montagnes de nourriture avalées sans retenue. Et pendant ce temps, une autre voix me disait qu’il fallait à tout prix racheter cet écart de conduite, cesser de manger pendant une semaine et perdre 10 kilos pour me repentir d’en avoir gagné deux. Mais j’ai compris que cette autre voix – celle d’Ursula, vous l’aurez reconnue – était en fait la cause de ma rechute après 6 mois et de mon envie de continuer à faire des crises. Quand votre geôlier vous menace de couper les vivres, il est normal que vous cherchiez à avaler quelques croûtes supplémentaires.

Alors j’ai choisi de ne pas faire confiance à Ursula, et de plutôt faire confiance aux personnes qui me veulent du bien : mon copain, ma psy, et Jenni Schaefer, dont j’ai relu les bons conseils dans les heures qui ont suivi ma rechute. Un chapitre entier de son livre Life Without Ed est consacré à la rechute, chapitre dont j’ai saisi le sens comme je ne l’avais pas saisi à ma première lecture. J’ai essayé, comme elle le suggère, de ne pas perdre mon énergie à me morfondre sur la crise passée, et de me concentrer plutôt sur la prochaine bonne action qui favoriserait ma guérison. Do the next right thing : dans mon cas, c’était de manger mon déjeuner habituel le lendemain matin, même si je n’avais pas faim.

Ce qui me reste en tête, même après deux semaines, c’est le souvenir du premier aliment, celui avec lequel j’ai entamé ma crise. Un feuilleté aux noix et à l’érable, devant lequel je suis restée plantée pendant un quart d’heure, au milieu du magasin, à me demander si j’étais vraiment prête à me lancer dans une boulimie. Parce que je savais que si je le mangeais, ça devait être dans le contexte d’une boulimie : je ne pouvais me permettre, dans des circonstances ordinaires (lisez : selon les règles d’Ursula), de manger un tel paquet de calories. Car oui, aux yeux d’Ursula, un feuilleté à l’érable et aux noix n’est rien d’autre qu’un paquet de calories. Alors je l’ai acheté, je l’ai dévoré, et c’était… la chose la plus délicieuse que j’aie mangée en 6 mois! Un feuilleté que j’ai payé 1.50$ et qui traînait probablement dans le présentoir depuis quelques jours, mais que j’ai trouvé si bon parce que, en mode boulimie, je pouvais enfin mordre dans un truc plein de sucre et de gras sans culpabilité. Alors j’ai ressenti de la tristesse en songeant que je vis avec cette phobie des calories au point de devoir utiliser la boulimie pour me faire plaisir.

J’ai donc continué, pendant les deux dernières semaines, à faire des efforts pour ignorer Ursula  et pour reprendre ma progression là où je l’avais laissée. Ça semble tellement facile quand je l’écris comme ça, mais ça ne l’a pas été, et ça ne l’est toujours pas aujourd’hui. Sauf que j’ai survécu, non? Et c’est le plus important – le fait d’être encore en vie explique d’ailleurs pourquoi j’ai ressenti un immense soulagement après ma crise. Vous avez bien lu, du soulagement. Bien sûr il y avait aussi la colère, la déprime, la honte, et tout le tralala habituel d’émotions post-crise. Mais il y avait aussi ce soulagement de savoir que cette rechute tant redoutée depuis six mois venait de se produire, et qu’elle m’avait laissée en vie. À terre, mais en vie et prête à me relever.

Un jour, je mangerai des feuilletés quand j’en aurai envie et ils seront tous délicieux.

Être bien dans sa peau, suite

Cet instant où, entre le rêve et l’éveil, tu te laisses bercer par la nostalgie des souvenirs heureux.

Cet instant où une chaleur, timide au début mais chaque seconde plus enveloppante, naît de cette découverte : rien n’est perdu, tes souvenirs vivent toujours en toi.

Tu es la somme de tous ces moments. Ton présent est riche de ton passé, et cette richesse, tu la ressens comme une plénitude. Tu es entière.

Guérison aujourd’hui, trouble alimentaire demain (ou jamais?)

164 jours sans crise, et j’ai survécu à la période des Fêtes, exploit digne d’une super-héroïne. À présent, mon défi est de faire la paix avec mon bikini car je pars dans une semaine pour… Cuba!

Alors oui, je tiens bon même si j’ai parfois l’impression de survivre plus que de vivre. Au moins je suis en vie dans les deux cas, et c’est ce qui compte, non? Je voulais aujourd’hui partager un exercice que j’ai fait avec mon copain. L’idée est venue de lui, preuve supplémentaire qu’il est le meilleur copain du monde et qu’il prend mon rétablissement très à cœur. Nous avons conclu un pacte dans lequel j’ai accepté de lui confier la charge entière de mon alimentation pendant sept jours. Autrement dit, c’est lui qui a décidé de tous nos repas pendant une semaine, et j’étais obligée de faire avec. Nous avons fait l’exercice pendant la dernière semaine du congé des Fêtes, où nous avions l’occasion d’être ensembles pour tous les repas. Ça m’a demandé de gros efforts, et Ursula criait très fort dans ma tête à certains moments. J’ai même essayé plusieurs fois de déjouer Ryan, comme si notre exercice était un jeu et qu’Ursula tentait de gagner la partie. Mais à d’autres moments, c’est Caroline qui a pris le dessus et qui s’est souvenue du pourquoi de tout ça.

Au final, ce qui m’a aidée, c’est de garder en tête que l’exercice ne durait qu’une semaine et que je pourrais redevenir la meilleure des anorexiques après. Je me disais : « Aujourd’hui, tu manges et tu te consacres à ta guérison. Demain s’il le faut tu n’avaleras qu’une branche de céleri. » C’est un raisonnement qui peut sembler malsain, mais je pense que c’est au contraire une bonne façon de se convaincre de manger. Car après les sept jours terminés, j’ai continué à placer ma guérison en priorité, et à garder l’option de l’anorexie comme un coussin de sécurité disponible au besoin. J’avais l’habitude de me dire : « Une dernière journée d’anorexique, et demain tu mangeras comme tout le monde. » À présent, j’essaie de me dire l’inverse : « Aujourd’hui c’est ton rétablissement qui compte, et demain l’anorexie sera encore là si tu en as besoin. »

J’avais déjà lu à propos de cette idée dans un livre que je vous recommande fortement, Life Without Ed par Jenni Schaefer. Elle explique que le fait de considérer son trouble alimentaire comme une option vers laquelle elle pourra toujours retourner, l’a aidée à mieux s’en éloigner. Peu importe la raison pour laquelle vous souffrez d’un trouble alimentaire, votre maladie a sans doute servi pendant longtemps à diminuer votre souffrance, et l’idée de vous en défaire complètement peut vous faire très peur. Voilà pourquoi l’idée d’avoir le trouble alimentaire comme coussin de sécurité, comme plan B, comme backup, appelez-ça comme vous voulez, peut permettre de trouver le courage nécessaire pour s’en défaire. Une journée au début, puis une semaine, puis peut-être pour toute la vie.

Dernier point à mentionner – mais j’écrirai sans doute un article complet là-dessus car j’ai l’impression que je vais en avoir pas mal à dire – j’ai commencé le yoga et c’est vraiment vraiment vraiment trop bien! Vivement mon cours de demain pour « laisser la sagesse de mon corps décider d’elle-même »…

Sevrage

Me revoilà après quatre mois d’absence, et je dois bien me rendre à l’évidence : les crises de boulimie étaient ma principale motivation à venir écrire ici. Je n’ai pas fait la moindre crise depuis exactement 126 jours – en bonne boulimique, je continue à les compter – et ce n’est que maintenant que je constate que mon dernier article remonte à 122 jours. Coïncidence? Pas sûre.

Si vous lisez ce blogue, c’est sans doute que vous connaissez ce sentiment de détresse immense qui nous habite après une crise. Pour moi, l’écriture est chaque fois une forme de soulagement. Mes articles me donnent l’impression de faire des petits pas en avant, pour compenser les crises qui semblent toujours être des pas en arrière. Quand j’écris un texte porteur d’espoir, c’est surtout pour m’empêcher de désespérer, moi.

Je pense que c’est plus qu’une impression, et que l’écriture m’a vraiment permis de faire des pas en avant. Les crises ne me manquent pas du tout, mais la lucidité qu’elles me permettaient de trouver via mon blogue me manque. J’essaie aujourd’hui de retrouver cette lucidité, car sinon je me laisse leurrer par le beau mirage de l’anorexie. J’ai besoin de faire des efforts conscients, chaque jour, pour être plus Caroline et moins Ursula. C’est qu’être Ursula est devenu tellement confortable sans les crises…

J’ai envie de partager un truc qui m’a beaucoup aidée à m’éloigner du cycle crise-restriction (vite je touche du bois, car j’espère que cet éloignement est là pour durer). Vous savez comme moi que quand l’envie de faire une crise se fait sentir, c’est presque impossible d’y résister. À ma connaissance, il existe un seul moyen de faire passer l’envie, et c’est d’y céder. La faim qu’on ressent dans ces moments-là est tellement profonde, qu’il faut une bonne overdose de sucre et le mal de cœur qui s’ensuit pour la faire disparaître. Et encore, ce n’est qu’un soulagement temporaire. Car tout le dilemme est là : la solution à court terme (faire une crise) devient la cause de problème à long terme. La crise provoque la culpabilité, qui provoque la restriction, qui provoque une nouvelle envie de crise. Que faire quand on sait que le seul moyen de faire taire son envie est d’y céder, mais qu’on sait aussi qu’en y cédant on prépare le terrain pour la prochaine crise?

La réponse, c’est qu’il faut faire confiance au temps. Il m’a fallu comprendre que mes envies de faire des crises sont d’abord une conséquence physiologique d’un état prolongé de faim, et non un manque de contrôle sur moi. J’ai bien essayé par tous les moyens de me contrôler, mais faute d’y arriver, j’ai choisi de croire que les choses allaient rentrer dans l’ordre par elles-mêmes si je persistais à manger chaque jour mes trois repas complets.

Une obsession comme ça, c’est bien accroché. La boulimie ne disparaît pas du jour au lendemain quand on reprend une alimentation équilibrée, et c’est un sevrage difficile. C’est une envie qui vous bombarde les pensées à chaque minute pendant des heures entières. C’est se lever le matin sans oser ouvrir le frigo, se rendre au travail les yeux fixés au sol pour éviter de voir les restaurants qui sont partout, vivre le cauchemar parce qu’un inconnu grignote un sac de chips dans le métro, et se coucher chaque soir avec la peur que cet ouragan, auquel on a résisté une journée de plus, nous emporte le lendemain.

Je ne fais plus confiance à cette voix qui me dit « Ce sera la dernière crise! Après ça, tu auras une volonté de fer et tu perdras tout le poids repris… » J’ai compris que ce concept de la dernière crise est une belle illusion, et que chaque crise va en causer une prochaine. Et je ne veux plus de prochaine crise. Alors chaque fois que l’envie se manifeste (à tous les jours au début, mais ça s’estompe, promis), j’ai deux pensées positives qui m’aident à supporter la pénible sensation de manque.

La première : « C’est normal que tu te sentes comme ça, Caroline. Pour l’instant, c’est normal, et c’est correct. »

La deuxième : « Il n’y a rien que tu puisses faire maintenant pour éviter de te sentir ainsi, mais ça va finir par passer. Il faudra du temps, mais un jour tout cela aura disparu. »

L’essentiel, c’est surtout de se souvenir que les envies de faire des crises ne sont que des pensées – des pensées normales, et qui finissent par disparaitre – mais surtout inoffensives en autant qu’elles restent des pensées. Et pour chaque pensée associée au trouble alimentaire, il existe une pensée contraire qui vient de notre voix saine. Il faut juste apprendre à faire confiance à la bonne voix.

Et il faut manger.

 

La réalité

J’ai pris l’habitude de blâmer trop souvent mon trouble alimentaire pour tout ce qu’il y a de négatif dans ma vie. Alors que c’est normal qu’il y ait du négatif dans ma vie. La boulimie est justement un moyen (un très mauvais moyens, disons-le) de gérer les choses négatives. Et là, gérer n’est pas le bon mot. La boulimie c’est plutôt l’évitement des choses négatives. Et la plupart du temps, on ne les évite que temporairement, et elles finissent par s’aggraver.

C’est une triste révélation de constater que je ne pourrai jamais échapper aux émotions difficiles. La solitude, la peur d’être rejetée, le sentiment de ne pas être à la hauteur, l’anxiété… et je n’en nomme que quelques-unes. Mais pour moi, cette révélation a été aussi libératrice qu’elle a été pénible à accepter. Parce qu’elle m’a permis d’arrêter de poursuivre un idéal de bonheur irréaliste. Je m’explique : j’avais l’impression que toutes mes peines étaient liées à des défauts que j’avais, et je croyais qu’en éliminant ces défauts, j’éliminerais mes peines. Le meilleur exemple de cette façon de penser, c’est de croire qu’en étant plus mince je serais plus heureuse. Ça va même plus loin : je croyais qu’en étant mince je ne vivrais plus jamais de solitude ou de rejet, et que le monde entier allait m’aimer. Oh, bien sûr je savais que c’était un raisonnement fautif. Mais en mon fort intérieur, quand je me sentais moins aimée par quelqu’un, je pensais immédiatement que c’était parce que je n’étais pas assez mince.

La dure réalité, c’est qu’il est impossible de ne jamais vivre de solitude ou de rejet. En en acceptant cela, j’ai accepté du même coup que si je vis ces émotions, ce n’est pas parce que je suis inadéquate en tant que personne. C’est simplement parce que ça fait partie de l’expérience humaine. Et le plus beau, c’est que tout finit par passer, même les émotions pénibles. Alors oui, c’est difficile de dire adieu à sa vision idéalisée du bonheur, mais c’est essentiel pour vivre une vie heureuse. Accepter le négatif, c’est arrêter de s’auto-blâmer pour la moindre situation désagréable, c’est arrêter de poursuivre un idéal de perfection, et c’est surtout comprendre que tout finit toujours par aller mieux.

Enfin, je l’espère.